Taking a lead from Joe Brainard and Georges Perec, DIAPHANES wishes to initiate personal, cultural, and historical reminiscence. Not simply the evocation of a collective memory but the opening up of significantly charged past moments to a future perspective, the deflection of retrospect into prospect, and—not least in times of political restoration—the necessary liberation of the imagination from other pasts and outmoded utopias.
I remember during the frozen Tokyo winter of 1997: I took long walks in the dead of night through the Shinjuku Kabuki-cho district of endless bars, subterranean clubs and abandoned cinemas with Donald Richie, the American writer and film-maker, already in Tokyo for over forty years at that moment and determined still to explore that city to his last living instant. Walking across the Shinjuku plaza, after taking the subway from Ueno district, I watched the livid multi-coloured projections from the digital image screens on the surrounding towers incise and deepen the already-entrenched furrows of his aged, disintegrating face, casting animated sequences across it—in Tokyo's illuminated plazas, memory corrosively infiltrates the body itself, abrades it, honing-in especially on the face, eyes and mouth—as his lips vocally conjured memories of his friendships of the 1940s, 1950s, 1960s: Kawabata, Hijikata, Mishima… After passing the derelict structure of the immense Koma cinema that he loved and would be demolished soon after, we entered the near-darkened dense alleyways of the Golden Gai area, almost untouched for fifty years, and arrived at the discretely signposted bar, La Jetée, owned by Richie's friend, another obsessive agent of memory, the French film-maker Chris Marker, possessed by his own memories of the future, which Tokyo above all other cities disgorges, annulling or reversing linear time, oscillating between future-directed political contestations and now-lost corporeal gestures, transforming the megalopolis's malfunctioned facades and the imprinted bodies they momentarily contain…
Une Trinité de mémoire
Je me souviens de quelques lieux, de quelques parfums d’enfance. En Amérique du Sud, en Equateur, à Guayaquil, dans les années cinquante.
Trois lieux, trois visions, des sensations nouvelles – celles de la découverte de la vie –, une source d’inspiration pour mon travail à venir, pour mon devenir.
Quelque chose qui tiendrait presque d’un lieu de naissance. Une piscine, intérieure, ronde, pleine de vapeur. L’hôtel Humboldt, un grand bâtiment moderne face à la mer. Je m’y rends avec ma mère et ses amies. Je ne me rappelle quasiment pas du décor intérieur de l’hôtel, sauf de celui-là (transcendé en fait par l’embellissement hollywoodien de mon souvenir). Ce doit être dans un sous-sol – et pourtant il y a comme une vue sur un jardin à travers une baie vitrée –, la rondeur de la piscine, les effluves de vapeur qui s’en dégagent. Au milieu de tout cela, ces femmes. Ma mère et ses amies. Toutes portent un bonnet de bain et un maillot uni. Elles entrent dans l’eau. Je suis parmi elles, ou sur le bord de la piscine. Surtout, ma sensation est voluptueuse : je baigne dans un merveilleux décor de film, toutes ces femmes sont des incarnations d’Esther Williams. Les mères protectrices qui initient l’enfant à son art, à son inspiration. Je sors à peine de leur ventre et j’y rentre constamment. En fait, ce va-et-vient est celui de mon existence, du sens de mon parcours cinématographique.
L’autre lieu se trouve un peu plus loin. C’est un grand café sur la plus grande artère de la ville : l’avenue du 9-de-Octubre. Le café Costa, sa terrasse, le dimanche matin. C’est le lieu de réunion de tous les exilés européens : juifs allemands et autres installés autour des tables. Leur peau, leurs gestuelles, tout est Mitteleuropa. Leurs vêtements traduisent un mélange berlinoviennovarsovien et tropical : chemises à manches courtes pour les hommes, qui portent les pantalons et les chapeaux du Vieux Continent; robes légères et coiffures permanentées des femmes, dont seuls les bijoux et le maquillage traduisent cet ailleurs. Les chaussures masculines, cirées et noires; les souliers féminins, talons hauts aux couleurs bariolées. Il y a avant tout les langues : yiddish, allemand, polonais, anglais, français, l’ensemble dans un espagnol mâtiné de tous les accents d’Europe Centrale de l’Est. Je me trouve au milieu de ces grandes personnes, je reviens de la séance matinale de cinéma destinée aux enfants et intitulée Vermouth. Ici, avant l’heure du déjeuner, moi petit juif né dans ce Nouveau Monde je vois ce que je serai plus tard : un cinéaste cosmopolite austro-hongrois. Je me délecte de cette vision, elle m’apaise… je me vautre dans la lecture sécurisante des illustrés tout neufs et à l’odeur de papier frais glacé qu’on m’offre. Je mange une glace à la vanille, goûtant au bonheur absolu de cet exil enraciné. C’est un sentiment total et incomparable.
Et puis, la troisième vision. Elle se déroule dans une petite salle de cinéma, en bois, à la façade jaune. Le lieu se trouve à deux pas de chez moi : de l’autre côté de la rue, que je n’ai donc qu’à traverser, J’ai quatre – cinq ans. Le propriétaire m’a pris en sympathie et me laisse entrer gratuitement. C’est ici que se produit le déclic de ma vocation. J’ai le droit de regarder tous les films, même ceux interdits aux moins de dix-huit ans. « Les Vacances de Monsieur Hulot », « Monika », « French Cancan ». Ils sont en version originale sous-titrée, je ne sais pas encore lire et pourtant c’est comme si je savais lire, je comprends toutes ces langues qui ne...
Ich erinnere mich an mein Exemplar von Alles kurz und klein, das weg ist, verschwunden! – wer erinnert sich, es mir geklaut zu haben?
Ich erinnere mich an das giftige Gelb, den schwarzen Boxer und die fliegende Faust auf dem Umschlag seines ersten Buches: Meine Fresse!
Ich erinnere mich an das Senfgelb seiner Kunstlederjacke und die blon- den Haare, als ich ihn in Berlin zum Biertrinken traf.
Ich erinnere mich an meine Eselsbrücke für die Zahl der Silben im Haiku:
Wände aus Pappe
und die Nachbarn am Japsen:
Reich der Sinne zwo
Ich erinnere mich, dass ich allen Autoren, nachdem sie einmal in Zwischen den Zeilen veröffentlicht hatten, jedes neue Heft gratis und franko zustellte und dass er der einzige war, der den Erhalt jeweils mit einer Manöverkritik quittierte.
Ich erinnere mich an die Postkarten, die er mir schrieb, um sich für den Sommer nach Italien zu verabschieden. Ich erinnere mich nicht, von dort je eine Karte bekommen zu haben.
Ich erinnere mich, dass auch er irgendwann auf E-Mail umstellte.
Ich erinnere mich, dass ich ihn seit sicher 20 Jahren nach seinem nächsten Buch frage und dass er mir beim letzten Mal antwortete: »Ich bin mit dem Großen Gan- zen beschäftigt, eine Abkehr vom Lebenswerk-in-Einzellieferungen (bis runter zum Siebzehnsilber). ›Am Stück oder geschnitten?‹, die alte Metzgersfrage: Ich habe mich fürs erstere entschieden.«
Ich erinnere mich an Uli Becker.
A Little Paris Nightmare
I loved Paris, even as a little boy, long before I lived there. I was like Pinocchio wandering about in some strange Land of Toys. I could sniff its boulevards and cemeteries from my fire escape in the Bronx. And then one day, by some great burst of will, I was able to dance on my magic carpet and move to Paris. I lived there for almost twenty years, part of the time teaching film studies at the American University of Paris. After I stopped teaching, I moved back to New York—my apartment, overlooking the Cemetery Montparnasse, was just too expensive to keep. But luckily I found a temporary home in the neighborhood, the Hotel Aiglon, which had a view of the cemetery from another angle. And when I returned to Paris for two weeks this past June with my wife, our suite on the fifth floor felt much more permanent than the apartment I’d had. But on our second day in Paris, we discovered two young immigrants from Albania living out on the boulevard Edgar Quinet, right near the hotel. The young couple looked almost angelic, untouched by time or history. They had a bed and little bureau in a tiny alcove, establishing their own territory and private dreamscape. The young woman, quite beautiful, seemed a bit simpleminded in her amnesia about the fragility of her surroundings. I knew that the French police would not allow them to linger there very long. And curiously, this young couple became entwined in my own life. I learned that the best friend of my former French assistant had written a screenplay about the couple—the life of two Albanian drifters in Paris. There had been a lot of enthusiasm about the screenplay, and the two drifters were scheduled to star as themselves in the film. Perhaps the young Albanian man had also dreamt of Paris as a little boy. But he had no magic carpet. And he would soon be detained by the police with his girlfriend, who was four months pregnant. They would lose all the rights to their little station on the boulevard Edgar Quinet. And suddenly I myself felt unmasked, and my suite at the Hotel Aiglon (breakfast included) seemed to crumble in front of my eyes, as if I, too, had been ravaged somehow and derailed.
La soif
Quand j’étais enfant, près de la maison ou j’habitais, il y avait une voie ferrée. Avant de m'endormir, j’entendais la sirène du train prévenant les automobilistes au passage à niveau. Mon imagination faisait de cette sirène un cri humain. J’imaginais qu’à l’endroit d’où venait ce cri, un homme se tenait debout, sur la frontière entre le monde et le vide. Ce n’était pas l’homme qui criait, mais "ça" qui criait derrière lui. Je n’avais pas peur. J'étais curieuse de ce qu'il pouvait y avoir au-delà de l’homme, dans cet espace que l’ignorance m’empêchait de nommer.
Je me revois une fois, debout dans le petit lit à barreau. Je devais avoir deux ans. Je ne me souviens plus si c’était le jour ou la nuit, j’ai entendu mon frère crier à ma mère qu’il avait soif. J’ai pensé que je comprenais le sens de ces mots : j’ai soif. Qu’ils exprimaient son besoin de boire. Mais je ne comprenais pas le sentiment de la soif. Je ne saisissais pas comment le désir de boire se ressentait physiquement. Je me souviens avoir réfléchi sérieusement à cela. Dans ma volonté de comprendre, j’ai à mon tour crié à ma mère. Je n’étais pas arrivée à prononcer les mots, mais j’espérais qu’elle m’apporterait à boire. Je souhaitais par là faire l’apprentissage de cette sensation de la soif, en comblant ce besoin avant de l’avoir ressenti. Je ne maîtrisais pas alors les rudiments du langage et je me suis souvent demandé avec quels mots j’avais pu échafauder ces pensées.
I remember during the frozen Tokyo winter of 1997: I took long walks in the dead of night through the Shinjuku Kabuki-cho district of endless bars, subterranean clubs and abandoned cinemas with Donald Richie, the American writer and film-maker, already in Tokyo for over forty years at that moment and determined still to explore that city to his last living instant. Walking across the Shinjuku plaza, after taking the subway from Ueno district, I watched the livid multi-coloured projections from the digital image screens on the surrounding towers incise and deepen the already-entrenched furrows of his aged, disintegrating face, casting animated sequences across it—in Tokyo's illuminated plazas, memory corrosively infiltrates the body itself, abrades it, honing-in especially on the face, eyes and mouth—as his lips vocally conjured memories of his friendships of the 1940s, 1950s, 1960s: Kawabata, Hijikata, Mishima… After passing the derelict structure of the immense Koma cinema that he loved and would be demolished soon after, we entered the near-darkened dense alleyways of the Golden Gai area, almost untouched for fifty years, and arrived at the discretely signposted bar, La Jetée, owned by Richie's friend, another obsessive agent of memory, the French film-maker Chris Marker, possessed by his own memories of the future, which Tokyo above all other cities disgorges, annulling or reversing linear time, oscillating between future-directed political contestations and now-lost corporeal gestures, transforming the megalopolis's malfunctioned facades and the imprinted bodies they momentarily contain…
Ich erinnere mich an gewellte goldene Kornfelder.
Ich erinnere mich an mich; in der Peripherie des Bildes.
Ich erinnere mich an die Geheimpolizei Francos, wie sie mich eines nachts aus meiner Wohnung holte, wie sie mich die ganze Nacht befragte über meine Liebesbeziehung zu Antonio R. L. Ich erinnere mich an das Stück Zeitung, welches Antonios Tod am nächsten Tag wiedergab.
Ich erinnere mich an das endlose Wiederholen einer Szene; ich am Rande.
Ich erinnere mich daran, wie ich im Korridor eines Krankenhauses von einem melancholischen Monster geschlagen wurde.
Ich erinnere mich an die Ecke eines Zimmers mit seinem kleinen Fernseher und dessen gebogenen Bildschirm; gefüllt mit US-Militärhubschraubern, kleine Soldatenauf Panamas Boden herablassend. Operation Just Cause.
Ich erinnere mich an das gemeinsame Lächeln mit meinen zwei Vampirfreundinnen; ich erinnere mich, wie wir spielten einen Mann zu töten.
Ich erinnere mich an mein Bild im Kino: die Kamera fest auf mich gerichtet; ich war die Krankenschwester, die Kamera der Kranke.
Ich erinnere mich daran, wie ich meine Vespa verspielte und zwei Stunden zu Fuß nach Hause gehen musste, während mich die Spielsucht meines Großvaters begleitete.
Ich erinnere mich an das Herauskommen aus dem Zimmer, an das Herauskommen aus der Szene.
Je me souviens de l’étymologie du mot « souvenir ». En latin impérial subvenit mihi signifiait : « il me vient à l’esprit ». Le verbe avait eu les sens de survenir et de soutenir, de venir en aide. Le français en a fait « souvenir », terme qu’emploient parfois l’italien, l’espagnol, le roumain ou l’anglais, même l’allemand, le russe, le hongrois. Le tourisme a favorisé une spécialisation du mot en « objet typique rapporté d’un pays visité ».
J’aimais bien que le souvenir survienne ou se glisse dessous. Comme un magnet retrouvé au fond d’une valise. On en est un peu honteux : pourquoi a-t-on cédé à ce fétichisme ? Pourquoi ce désir de garder un morceau du lieu, du pays, de la ville. Ou une image, une icône à défaut d’un morceau véritable.
Mon grand-père maternel gardait un gant qu’un incendie à bord d’un bateau avait rétréci, sans le brûler, à la taille d’un gant de poupée. Ce gant me fascinait : j’y voyais l’incendie, le paquebot, la main et tout le bras de la personne.