L’étrangeté est partout, mais les étrangers sont uniquement là où nous voulons bien les définir. En 1970, Robert Filou a proposé que deux monuments de guerre, en Belgique et en Hollande, soient échangés et transplantés dans leurs territoires respectifs. Confronter le public avec l’héroïsme des autres met en évidence la vanité de la guerre. Le transplant symbolique est devenu une stratégie artistique en vogue, qui a aussi une portée utopique. En 2012, Yael a mis sur pied le Mouvement de Renaissance Juive Polonaise (MdRJP), en appelant au transfert de 3.300.000 Juifs en Pologne afin de réimplanter la communauté jadis annihilée. En 2015, Christophe Büchel a transplanté une mosquée dans une église catholique désaffectée pendant la biennale de Vienne. En 2017, Manaf Halbouni a installé trois bus verticalement dans le centre de Dresde, transplantant par là symboliquement les barricades utilisées lors des conflits en Syrie. D’autres approches artistiques utilisent le transplant littéralement (pour ne rien dire des applications directement corporelles, de Stelarc à Orlan). Pensons, par exemple, à Łukasz Surowiec, qui a transplanté des arbres poussant près d’Auschwitz-Birkenau dans le site d’exposition de la biennale de Berlin.
Le transplant symbolique va au-delà d’un art simplement politique, et plonge probablement ses racines dans les échanges rituels de la préhistoire. On peut aussi bien l’instancier par les bizarres « thérapies » sexuelles des années cinquante, comme le mariage libre bourgeois, ou les pratiques échangistes. De nos jours, ces thèmes ont finit par se sédentariser dans la culture la plus populaire. Les spectacles de reality-TV nous montrent souvent deux familles invitées à échanger leurs membres pendant une semaine – l’idée étant en général que les familles choisies soient de niveau social inégal, ou d’extraction ethnique différente -. La mise en place de ce processus de confrontation vise à ce qu’on ait affaire à l’autre particulier et réel, non à l’autre général et abstrait. Sans surprise, pas mal de films grand public jouent aussi avec cette idée de transplantation sociale, notamment dans le contexte post-œdipien des années quatre-vingt : un Père qui devient fils à travers un sérum magique ou un crâne ensorcelé (Mon père c’est moi, 1987 ; Vice-versa, 1988) ; un vieil homme méditatif qui se transforme en gamin punk (Dream a little dream, 1989) ; une femme riche et handicapée qui tente d’échanger son corps avec celui d’une jeune femme, mais qui finit incarnée en Steve Martin (Solo pour deux, 1984)...
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